SOCIÉTÉ

Gisèle Halimi, avocate éprise de justice sociale

28.06.2023

Avocate franco-tunisienne et militante engagée pour les droits des femmes, Gisèle Halimi a marqué de son empreinte le droit français. Elle jouera notamment un rôle crucial dans la légalisation de l’avortement. Éprise de justice, elle a aussi combattu avec vigueur l’oppression coloniale. Durant la guerre d’Algérie, elle défend les militants indépendantistes algériens et dénonce la torture pratiquée par l’Armée française. Anti-colonialisme et féminisme sont pour Gisèle Hamili les deux faces d’une même médaille : le combat pour les droits des opprimés.

Gisèle Halimi est née le 27 juillet 1927 à La Goulette, en Tunisie. Issue d’une modeste famille juive tunisienne, elle manifeste dès l’enfance son refus des inégalités de genre. A 10 ans, elle fait une grève de la faim pour obtenir le droit à la lecture. Elle refuse aussi catégoriquement ne pas être traitée comme l’égale de ses frères. C’est aussi très jeune qu’elle prend conscience de l’oppression coloniale. En 1938, elle est choquée par la répression violente qui s’abat sur les militants manifestant pour l’indépendance de la Tunisie.

A l’âge de 16 ans, elle refuse le mariage arrangé avec son cousin et obtient le droit de faire des études. Elle part en France et devient avocate à une époque où les femmes étaient sous-représentées dans les professions juridiques. En 1949, elle revient en Tunisie et s’inscrit au barreau de Tunis.

Le combat pour la décolonisation

Dès 1950, elle milite pour l’indépendance des pays du Maghreb. En tant qu’avocate, elle défend les militants indépendantistes et les syndicalistes tunisiens. Ce sera une constante dans sa carrière, elle est une avocate engagée qui défend des causes auxquelles elle croit. Lors de sa première plaidoirie, elle déclare d’ailleurs que « l’injustice lui est physiquement intolérable »1. Plus tard, elle dira « avoir toujours l’impression que c’est elle-même qu’elle défend. »2

Ma liberté n’a de sens que si elle sert à libérer les autres

 Gisèle Halimi, Une farouche liberté, 2020

Dès 1956, elle devient l’une des principales avocates du Front de libération nationale (FLN), mouvement de lutte pour l’indépendance de l’Algérie. Elle dénonce dans ses plaidoirie la torture et les exécutions sommaires pratiquées par l’Armée française durant la guerre d’Algérie. Contre une justice d’exception, elle se bat pour que les militants du FLN aient droit à des procès équitables.

Aussi mes plaidoyers contre la torture devinrent-ils tout naturellement une succession de questions, presque de cris. J’interpellais les tribunaux. “Qu’est la France ? Le Siècle des Lumières, les droits de l’Homme ou cette barbarie ? Qui êtes-vous, messieurs les Juges ? Qui représentez-vous, à l’ombre de ce drapeau ?” J’avais mal, je réglais mes comptes. “Qui ment ? Les philosophes, l’histoire de ce pays ou vous ? Les livres ou la réalité de la guerre ?« 2

Gisèle Halimi, Le Lait de l’Oranger, 1988

Le procès de Djamila Boupacha

En 1960, elle décide de prendre la défense de Djamila Boupacha, militante du FLN accusée d’avoir posé une bombe à Alger puis arrêtée, torturée et violée par l’Armée française. Elle axe la défense sur l’invalidité des aveux obtenus sous la torture. Pour mobiliser l’opinion, elle monte un comité avec d’autres intellectuels dont Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre. Ils obtiennent que le procès se tienne en France et non dans une cours militaire en Algérie. Lors du procès, des médecins gynécologues interviennent pour la première fois comme expert dans une court de justice pour attester du viol.

Cette affaire marque la convergence entre les deux grands combats de Gisèle Halimi : les droits des femmes et la lutte contre l’oppression coloniale. Elle défend Djamila Boupacha non seulement comme algérienne victime du système coloniale mais aussi comme femme subissant la violence patriarcale.

Le combat pour l’Algérie a marqué la vie de Gisèle Halimi a tel point qu’elle déclarait en 1974 :

Aujourd’hui si vous me posez la question, je me demande si finalement je ne suis pas plus algérienne que tunisienne compte tenu que j’ai donné presque huit ans de ma vie à la cause de l’indépendance algérienne.3

Gisèle Halimi dans l’émission Aujourd’hui Madame sur ORTF le 08/01/1974

Le combat pour les droits des femmes

Féministe engagée, Gisèle Halimi co-fonde en 1970 le Mouvement pour la Libération de la Femme (MLF) qui a joué un rôle clé dans la lutte pour l’égalité des sexes en France. Son militantisme s’étend au terrain du droit et elle va réussir à faire changer la législation. En 1972, lors du Procès de Bobigny, elle obtient la relaxe d’une jeune femme poursuivie pour avoir avorté illégalement après un viol. Ce procès a contribué à l’évolution vers la légalisation de l’avortement votée en 1974.

Gisèle Halimi se mobilise aussi pour la criminalisation du viol. Elle dénonce la culpabilisation des victimes et l’indulgence de la société envers les violeurs. En 1978, elle défend deux victimes de viol et obtient l’évolution de la législation sur le viol en France. La définition du viol est élargi à  » tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui, par violence, contrainte ou surprise« .

L’héritage de Gisèle Halimi

L’engagement de Gisèle Halimi en faveur des droits des femmes a ouvert la voie à des avancées significatives dans la société française. Ses plaidoiries passionnées et sa ténacité ont contribué à faire progresser la cause féministe et à remettre en question les normes patriarcales. Elle a aussi contribué à sensibiliser l’opinion publique aux atrocités commises pendant la Guerre d’Algérie et participé à l’évolution des mentalités sur la question coloniale. Son travail a inspiré de nombreuses générations d’activistes et son héritage perdure dans les luttes pour l’égalité et la justice, en France et au-delà.

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