Des amours impossibles de Bachir Hadjadj
En 1954, Bachir Hadjadj étudie au lycée d’Aumale à Constantine en Algérie. Dans sa classe les élèves européens et algériens sont mélangés mais avec l’âge les contacts deviennent plus difficiles. Chacun prend conscience des inégalités de statut qui les séparent.
Plus nous avancions vers la fin de notre adolescence, plus nous prenions conscience qu’il y avait « eux » et qu’il y avait « nous ». Et plus les contacts se faisaient difficiles. Lorsque nous eûmes pris conscience les uns et les autres que nous appartenions à deux mondes non pas seulement différents mais inégaux, nos rapports changèrent de nature. Nous fréquentions les mêmes classes du lycée, nous vivions à côté les uns des autres, nous étions parfois camarades, rarement plus.
Source : Benjamin STORA et Tramor QUEMENEUR,
Les timides rapprochements intercommunautaires étaient vécus comme des désertions, et condamnés comme telles par la vigilante censure des deux mondes. Il y a bien eu de très solides amitiés qui ont résisté à l’usure du temps et à la violence de la tempête, mais elles étaient l’exception. Elles n’ont pu exister et durer que parce que l’un et l’autre, chacun de son coté, a su imposer cette amitié à son propre clan, non sans difficulté ou sans drame, souvent au prix de la rupture avec ceux des siens qui refusaient cette amitié. Il y eut bien, également, quelques Roméo et Juliette qui bravèrent non seulement des familles et des clans, mais les sociétés elles-mêmes. Ils ont été rejetés avec une extrême violence, j’en connais des deux bords : leurs amours n’ont pu s’épanouir que loin de la colonie.
Mémoires d’Algérie – Lettres, carnets et récits des Français et des Algériens pendant la guerre (1954-1962), Paris, J’ai lu, 2014.