AUTOUR DU MONDE

Ibn Sina, prince des savants

27.06.2023

Références

  1. « Avicenne / Ibn Sina (980-1037) », Florian Besson Les clés du Moyen-Orient, 2 mars 2013.
  2. « Avicenne », Le courrier de l’UNESCO, 1980.
  3. « Avicenne (980-1037) », Philosophie magazine.

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Ibn Sina, connu en Europe sous le nom d’Avicenne est l’un des plus grands intellectuels de l’Histoire. Philosophe, médecin, poète, musicien et voyageur infatigable, il possédait une connaissance encyclopédique. Son œuvre aura une influence durable dans les domaines de la philosophie et de la médecine en Orient comme en Occident.

Un génie précoce

Ibn Sina est né en 980 prés de Boukhara dans l’actuel Ouzbékistan. A l’époque, la ville de Boukhara est un haut de lieu de savoir et de culture qui attire de nombreux savants et artistes. Issu d’une famille de hauts fonctionnaires, il suit des études brillantes auprès des plus grands maîtres de l’époque. Il se forme aux sciences religieuses, à la médecine mais aussi à la philosophie grecque que le monde arabe découvre à cette même époque. En effet, dès le milieu du IXe siècle ouvre à Bagdad La Maison de la sagesse, centre intellectuel où des savants de toutes confessions traduisent et commentent la philosophie grecque et latine. Cet environnement intellectuel stimulant a nourri l’esprit curieux d’Ibn Sina.

A 10 ans, il connaît le Coran par cœur et à 16 ans il est déjà un médecin célèbre. Quatre ans plus tard, il rédige son premier traité de philosophie. Sa mémoire est si prodigieuse que la légende raconte que lorsque la bibliothèque de Boukhara a brûlé, les habitants se consolaient en disant : « Le Sanctuaire de la sagesse n’a pas péri : il s’est transporté dans le cerveau de Ibn Sina »1.

Une carrière brillante

A l’âge de 16 ans, Ibn Sina est appelé pour soigner le prince samanide de Boukhara. Une fois guéri, ce dernier l’embauche comme médecin officiel de la cours. A la mort du prince, Ibn Sina quitte sa ville natale pour une vie itinérante. Il parcourt l’Asie centrale et conseille des princes de tous l’empire islamique. Fin pédagogue, il a des étudiants dans tous le monde arabe. Pour mieux transmettre sa connaissance, il écrit de petites fables philosophiques.

Comme médecin, je soignais le corps de mes patients et, comme professeur, je préparais l’âme de mes élèves.2

Il occupe aussi des hautes fonctions administratives et politiques dans plusieurs villes de la région. Bourreau de travail, il rédige des centaines d’ouvrages de médecine, de philosophie ou de logique. Œuvre majeure, Le Livre de la guérison est une encyclopédie qui aborde des sujets tels que la philosophie, la logique, les mathématiques, la physique et la métaphysique.

Un médecin visionnaire

Avant d’être philosophe et homme politique, Ibn Sina est un grand médecin et surtout un théoricien de la médecine. Son ouvrage Le Canon de la médecine compile toutes connaissances médicales de l’époque. Traduit au XIIe siècle en latin, il a été utilisée comme référence dans les universités européennes pendant plusieurs siècles.

Ibn Sina est aussi à l’origine de découvertes médicales majeures en ophtalmologie, en cardiologie ou en gynécologie. Il décrit ainsi avec précision l’anatomie de l’œil, le rôle du cœur dans la circulation sanguine et analyse le diabète en des termes très proches de ceux de la médecine moderne. Pour prévenir les maladies, il prête une attention particulière aux effets de l’environnement, de l’alimentation et de l’hygiène sur la santé. Aussi, il est le premier à comprendre le rôle des rats dans la propagation de la peste. C’est également un pionnier de la psychiatrie, il proposait par exemple de traiter la dépression par la musique.

Mais son apport le plus précieux réside dans la méthodologie : il se fonde sur l’observation et la logique pour déterminer les causes et les conséquences des maladies. Ainsi, il pratique la dissection et l’expérimentation pour valider ses hypothèses. Il est l’un des premier à analyser l’état de santé non comme le reflet d’un état spirituel mais comme le résultat de causes naturelles qui peuvent être étudiées. Cette approche est au fondement du mouvement des Lumières et du développement de la science moderne.

La philosophie d’Avicenne

Outre la médecine, Avicenne a laissé un héritage durable dans le domaine de la philosophie. Ses travaux sur la métaphysique, l’éthique, la logique et la théologie ont été largement étudiés et débattus dans les cercles intellectuels de son époque. Ses réflexions portent notamment sur la nature de l’âme, sa relation avec le corps, ses capacités et sa relation avec le divin. Grand lecteur du philosophe grec Aristote, il s’en inspire pour sa théorie de la raison humaine.

Esprit scientifique mais aussi profondément croyant, Ibn Sina croit en la compatibilité de la foi et de la raison car elles sont toutes deux d’essence divine. Ils considèrent d’ailleurs que c’est la faculté de raisonner qui distingue l’humain de l’animal mais aussi qui fonde la conscience de soi. Il prend l’exemple d’un humain qui n’aurait pas de sens et qui ne pourrait pas se toucher. Il explique que si on lui montrait sa propre main, il ne saurait pas que c’est la sienne pourtant il serait conscient d’exister car son âme existe indépendamment de son corps3. Cette idée sera plus tard développée par Descartes avec le célèbre « Je pense donc je suis ».

Dans ses œuvres, Ibn Sina développe aussi une pensée politique. A la suite d’Aristote, il considère l’humain comme un animal politique. Il pose alors la question de la meilleure gouvernance. S’il considère que le calife doit être un descendant du Prophète, il affirme aussi que celui-ci ne peut régner qu’avec l’accord du peuple. Il donne également à la philosophie un rôle central dans l’équilibre de la cité notamment dans l’éducation et le bien-être des citoyens.

Un pont durable entre l’Orient et l’Occident

Très rapidement ses théories médicales et philosophiques se diffusent dans le monde musulman. Ses travaux contribue à la diffusion de la pensée grecque en Orient et au développement de la philosophie islamique. Dès la fin du XIe siècle Ibn Sina est connu en Europe notamment en temps que médecin. Son influence philosophique s’est exercée dans tout le monde musulman et arrive dans l’Europe chrétienne par l’Espagne musulmane. Ses réflexions sur l’âme se retrouve notamment chez les philosophes chrétiens puis chez les penseurs des Lumières.

Ibn Sina est considéré comme l’un des plus grands penseurs de l’Histoire et son influence est encore perceptible de nos jours. Sa pensée continue d’être étudié dans les universités à travers le monde et ses réflexions sur raison et foi restent précieuses pour de nombreux musulmans.

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