Références
- « Entretien avec Steven Duarte – Le réformisme islamique : courants de pensée et intellectuels », Les clés du Moyen Orient, 15 mars 2018
- Réformisme et intégralisme – Dominique Avon, Colloque Laboratoire Pléiade (Université Paris 13) et l’IISMM-Institut d’études de l’Islam et des sociétés du monde musulman (EHESS-CNRS), 20 décembre 2017.
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C’est quoi le réformisme musulman ? Souvent mal comprise, cette notion est utilisée pour définir des courants de pensée divers voire même parfois opposés. Essayons de mieux cerner la notion de réformisme et ses principales caractéristiques.
Le réformisme musulman est souvent mal défini à tel point que sont souvent classés dans un même continuum des penseurs aux démarches et aux idées opposées. Il est donc primordiale de bien définir le courant de pensée réformiste.
Naissance dans le contexte de crise du XIXe siècle
Le courant réformiste s’inscrit dans le contexte particulier du déclin de l’Empire Ottoman à partir du XIXe siècle. Le réformisme prend d’abord naissance dans les hautes sphères du pouvoir Ottoman. Il s’agit alors de moderniser l’empire dans un contexte militaire, économique et géopolitique dominé par les puissances européennes. Partout dans l’empire des intellectuels pointent le retard du monde musulman face à l’Occident et font le constat d’une nécessaire adaptation à la modernité technique, économique et politique.
La modernisation passe d’abord par celle de la langue arabe. Les premiers réformistes s’attachent à traduire en arabe les concepts politiques modernes. Il ne s’agit pas uniquement d’un effort de traduction. Il faut aussi transposer ses idées dans l’univers culturel des arabo‑musulmans notamment en les rendant islamiquement acceptables.
Un courant de pensée qui tente de concilier islam et modernité
La première vague réformiste ne s’intéresse pas en premier lieu à la religion. Leurs successeurs vont eux s’attacher à concilier islam et modernité. C’est cette seconde vague de réforme centrée sur l’islam qui donne naissance au courant réformiste musulman. Selon ces réformistes, le retard des sociétés musulmanes s’explique par leur éloignement du véritable islam. Ils appellent donc à un retour à l’islam « vrai », un islam débarrassé des commentaires doctrinaux pour sortir de l’immobilisme qui caractérise le monde musulman de l’époque.
Pour concilier islam et modernité, les réformistes musulmans appellent à un renouveau de la pensée islamique. Ces penseurs prônent le recours à l’ijtihad, l’effort de réflexion critique. Ils refusent le « taqlid » c’est-à-dire l’imitation sans raisonnement personnel pratiqué par les oulémas (savant religieux). Ils s’attellent à débarrasser les textes sacrés des commentaires doctrinaux pour revenir aux sources premières, notamment au Coran. Avec de nombreuses nuances, ces penseurs se sont efforcés de réconcilier la foi et la raison, et de questionner les interprétations théologiques et juridiques traditionnelles en les soumettant au crible de l’analyse rationnelle.
Par cette démarche ils s’opposent aussi bien à l’impérialisme européen qu’aux oulémas conservateurs et dogmatiques. En rupture avec l’orthodoxie religieuse, les réformistes ont d’ailleurs souvent été mis au ban des institutions de leurs pays, l’université notamment.
La confusion avec le revivalisme
Il y a souvent une confusion entre le réformisme musulman et d’autres courants réformateurs, notamment les mouvements revivalistes. Le plus influent d’entre eux, le wahhabisme, du nom de son fondateur Abd al-Wahhāb, naît au XVIIIe siècle en Arabie. Si les réformistes et les revivalistes partagent le constat commun d’un retard du monde musulman sur l’Occident et d’une nécessaire réforme de l’islam pour y remédier, la similarité s’arrête là.
Les revivalistes prônent comme solution le repli sur soi du monde musulman. Ils appellent à l’élimination de toutes les innovations politiques aboutissant à une lecture obscurantiste de l’islam. Ils refusent toute forme d’interprétation des textes sacrés et tout apport extérieur, en particulier issu des sciences humaines (histoire, anthropologie, linguistique…). Les réformistes musulmans, au contraire, considèrent l’altérité comme une source d’enrichissement. Ils prônent l’ouverture sur le monde, les idées nouvelles et les autres cultures. Leur démarche est fondée sur le questionnement et l’analyse rationnelle.
Les grandes figures du réformisme musulman
Parmi ces penseurs, certains apparaissent aujourd’hui plutôt conservateurs, à l’instar d’Al Afghani ou de Abduh, tandis que d’autres, tels Mohammed Arkoun ou Souleymane Bachir Diagne s’inscrivent dans un courant de pensée résolument libéral. Hélas, leurs voix résonnent aujourd’hui peu dans le monde musulman, mais leur pensée continue d’inspirer de nombreux penseurs et croyants à travers le monde. Le courant réformiste a ainsi donné naissance au féminisme islamique qui tente de débarrasser les textes sacrés de leur interprétation patriarcale.